Coilguns, c'est trois personnes, des amplis, de la bagarre, une batterie et de la non-mélodie. Avec la sortie de Stadia Rods, les Suisses commencent à faire sensation dans la petite communauté de la musique violente. Afin d'en savoir plus sur leurs pratiques, j'ai rencontré (par mail) Jona et Louis pour nous éclaircir sur les différentes facettes de Coilguns.
Louis Jucker : chant.
Jona Nido : guitares.
Luc Hess : batterie.
Salut ! Vu que votre bio est très précise sur votre site, je ne vais pas vous faire l’éternel coup de la présentation mais plutôt celui du présent de Coilguns. Comment ça va aujourd’hui ?
Jona : Coilguns se porte mieux que jamais. Une envie de tout bouffer mixé à des retombées relativement conséquentes après un EP et une première tournée très bien accueillie l’année passée. On est donc maintenant en phase de consolidation de ce qu’on a pu achever jusque là mais avec une énergie ultra positive et une confiance qu’on n’avait évidemment pas au départ ne sachant pas où allait partir ce projet. On est aussi en pleine promo de notre nouveau EP, « Stadia Rods » qui est sorti il y a maintenant 15 jours.
Pour la petite touche fun, là tout de suite, jeudi 29 mars, 17 :58, on est dans le van avec Earthship, direction Prato vers Florence en Italie. On s’est gouré d’embranchement et on vient de perdre 1h30 pour rien.
« Stadia Rods » est très différent de vos trois morceaux sur le split avec Kunz. Plus massif avec une colère différente que la précédente (!). Qu’avez-vous changé dans la composition ?
Jona : Rien. C’est une évolution logique simplement. Lorsque j’ai écris les titres du split, à savoir : en quelques heures alors que je me trouvais à New York, je faisais ça sans but. J’ai donc simplement empilé des riffs jusqu’à ce que ça ressemble à une chanson, les ai envoyés à Luc et Louis et on s’est dit que ça serait rigolo de les enregistrer. Mais à la base on n’était pas vraiment sensé faire un vrai groupe tu vois. C’est juste que malgré des influences vraiment très présentes sur le split (et à juste titre d’ailleurs), il y a certains plans ou structures qui m’ont parues « atypique » si j’ose dire, certains trucs qui sonnaient vraiment bien pour Luc et moi. Donc une fois cette analyse faite, tu peux déjà te concentrer un peu plus sur ce qui fait que ce groupe, c’est toi plutôt qu’un rip-off de je ne sais pas qui. Quand tu commences un groupe, tu as une vague idée de ce que tu veux faire, mais après avoir sorti ton premier EP et ben, t’as déjà un peu plus d’infos sur « qu’est-ce que tu pourrais être » si tu creuses un peu plus le sujet. Personnellement, je suis simplement et logiquement passé par ce processus. La différence c’est que je voulais que ce disque soit plus noir et moins –core peut-être. Plus oppressant, quitte à abandonner la voix où certains plans alambiqués et leurs préférer des plans répétitifs et simple mais les faire monter jusqu’à ce qu’on ait tous envie de se couper les veines. Bien évidemment le fait que Louis ait lâché la basse après le split et que j’ai dû inventer un système pour pouvoir contrôler 2 amplis de guitares et un ampli de basse à la fois a aussi joué un rôle dans l’évolution du split à « Stadia Rods ».
Avez-vous enregistré ensemble en live comme pour le split ou avez-vous fonctionné autrement ?
Jona : Pour le split, ce n’est pas vraiment qu’on a enregistré live. On a tous enregistré séparé mais on a gardé plus ou moins qu’une prise par instrument.
Stadia Rods a été enregistré en 5h chrono en main. C’est le temps qu’il a fallu à Luc et moi pour avoir une version complète de chaque titre dont nous étions satisfaits. En fait, ça a prit plus de temps de faire le setup que d’enregistrer. On a mis dans la même pièce 4 box de guitares, 2 box de basse et autant d’amplis en arc de cercle et la batterie. Pas de click, impossibilité de faire des overdubs ou edits. Tout ce que tu entends sur « Stadia Rods », c’est Luc et son kit de batterie complètement minimaliste et ma guitare dans 21 pédales d’effets me permettant de contrôler séparément deux amplis de guitares et un ampli de basse. Deux jours plus tard, Louis a enregistré tout seul les voix dans son salon à Zürich. Et je peux déjà te dire que nous ne ferons plus jamais autrement pour enregistrer un disque. Enfin oui, la prochaine fois, Louis enregistrera également en même temps que nous.
Un jour d’enregistrement et une semaine de mix pour sortir « Stadia Rods », c’est un record ! Est-ce un hasard et une bonne combinaison des choses ou aimez-vous vraiment la rapidité (non, je ne ferai pas une remarque du genre « Pour des Suisses, ce n’est pas banal ! ») ?
Jona : Petite correction : 5h d’enregistrement et le mix + mastering ont été effectué par Julien Fehlmann au Studio Mécanique en moins de 4h et entre deux apéros. Ce qui nous a pris une semaine (et parce qu’on a juste pas pu faire tout à la suite) ça a été d’enregistrer, mixer, masteriser et fabriquer 150 exemplaires avant le show qu’on a fait avec Dillinger Escape Plan (qui était notre premier show). Autrement ça aurait été deux jours et demi.
Louis : « Stadia Rods » commence par ces quelques lignes :
[ pure exquisite failure - home-made disgust
remains of yourself - facing the universe
hypothetical crime - impossible fracture
the will to vanish - come back where you were ]
C'est une introduction au thème général du disque. La plupart des textes s'inspirent d'effets et instruments optiques et sont écrits comme face à un miroir, un portrait de Dorian Gray. Les riffs de Jona sonnent pour moi comme des lendemains de noce, amers et prétentieux - des donneurs de leçon. « Stadia Rods » décortique donc des situations foireuses dans lesquelles tes propres agissements n'ont fait qu'empirer le tout. Des histoires dans lesquelles tu t'es déguisé pour éviter de montrer ton vrai visage. D'où la cover du disque; voilà exactement à quoi tu ressembles au fond si tu te regardes vraiment. « Stadia Rods », ou les piquets de stade, te place au centre d'une arène, prêt à en découdre. (Un "Stadia Rod" est également un instrument de mesure qu'utilisent les géomètres, c'est une façon d'interroger jusqu'à quelles distances nos coilguns (sortes de canons magnétiques, ndlr) tireront avec ce disque et de nous souhaiter bonne chance)
« Parkensine » est dédiée à l'inventeur d'un premier prototype de plastique qui n'a jamais vraiment fonctionné. Où comment s'acharner à mettre au point sa propre ruine.
« Zoetropist » est une malédiction simple envers un être toupie, comparé à un zoetrope, dont les visages se multiplient jusqu'à le faire disparaître.
« In the Limelights » résume l'aveuglement dont tu es victime sous les projecteurs, lorsque tu ne discernes que les silhouettes de tes observateurs.
« Witness The Kern Arc » est un phénomène optique d'une extrême rareté, visible à proximité des pôles. Il faut parfois voyager loin dans les extrêmes affectifs d'une personne pour apercevoir un peu de lumière.
« The Shuftan Process », un ancien procédé holographique, décrit la projection d'un fantasme personnel sur autrui et les conséquences d'un pareil décalage, d'où l'articulation en deux volets : excitation puis angoisse.
Le disque se ferme en un épilogue glauque;
[now / close our eyes / and disappear]
Car bien sûr on finit toujours par fermer les yeux et se rendormir. « Parkensine » fait le contraire:
[ You want this ? / Then play it again / Do the same mistakes / Don't expect to change]
Ce disque est conçu comme une expérience cathartique que l'on vous invite à vous rejouer de temps en temps. 30 min d'auto-questionnements sans réponses.
Que représente le condor sur la pochette ?
Jona : Mis à part la description qu’en fait Louis dans sa réponse plus haut, c’est aussi une façon pour nous d’imager notre ambition et notre envie de porter ce projet le plus loin et le plus haut possible. Le condor étant l’oiseau qui atteint les plus hautes altitudes, ça nous paraissait sensé. Mais il faut quand même savoir que ce n’est pas un truc auquel on a pensé au préalable. J’ai simplement demandé à Dawid, qui s’occupe de tout nos artworks, t-shirts, logos, etc. de dessiner quelque chose pour « Stadia Rods » et il nous a simplement présenté ce condor et on était conquis. Bien que plein de gens pensent que c’est un dindon ou même un poulet. En même temps le dindon et le poulet c’est très goûtu alors bon…
Jona : Non, ABSOLUMENT PAS. Bien sur qu'avoir un bassiste ça nous permettrait d’explorer d’autres choses mais ce qu'on cherche actuellement c'est de développer ce qu'on a sous cette forme là et d'amener ce projet le plus loin possible tel qu'il existe. C'est aussi un bon challenge en tant que musicien de devoir remplir ce rôle et d'arriver à donner de la dimension à ta musique malgré le manque évident de musicien. Je suis vraiment ultra satisfait de ce système et honnêtement, indirectement, c’est ça qui nous permet d’avancer aussi vite car ça nous permet d’être deux à écrire la musique et ça limite vachement les étapes par lesquels un groupe normal de 5 personnes doit passer pour terminer un titre.
Depuis le début du groupe, vous êtes dans une logique de DIY. Que signifie cet état d’esprit pour vous ?
Jona : Pour nous, ça signifie qu’on n’attend pas sur quoique ce soit pour faire avancer les choses autrement que de l’huile de coude. Pas de maison de disque pour nous signer et nous payer un pressage ? Pas grave, on va fabriquer nos disques nous-mêmes ! Impossible de choper une distribution pour être dans les bacs ? Pas grave, on va tourner, vendre nos disques en live et monter un petit mailorder ! Cet esprit là, c’est aussi tout un réseau de gens comme nous, qui font ça par passion. Le gros du boulot, c’est d’aller chercher ces gens et de voir ce que l’on peut s’apporter mutuellement. Journalistes, organisateurs, associations, les personnes qui peuvent t’héberger, les groupes, des graphistes, des imprimeurs... peu importe, tous ces gens font ce qu’ils font pour « la scène » et c’est quelque chose qui me touche. Je suis très fier de faire partie de ce réseau et de rencontrer tous ces gens qui partagent cette même passion viscérale de la musique.
L’esprit DIY c’est un organisateur qui, plutôt que d’aller en boîte tous les week-ends, rentrer chez lui en Audi et mater de la merde sur son écran plat, va booker les groupes qui lui font plaisir, un peu les payer, leur offrir un déjeuner et partager sa collection de disques en buvant des shots dans son salon. Le tout en perdant des thunes. Pour un groupe, c’est d’aller là où on veut bien d’eux pour aller partager de l’énergie que ça soit avec 4 ou 100 personnes. Ça signifie qu’en se sortant les pouces du cul, tu peux bien continuer à faire ce qui te plait, sortir des disques sans devoir faire aucun compromis, partager ce dernier avec des gens comme toi qui apprécient cet état d’esprit car nous sommes dans le même bateau. Grâce à ça, grâce à vous, ça nous permet d’avoir de l’exposition et sortir de l’anonymat.
Tu peux booker des tournées – certes où tu dors par terre et t’en sors tout juste financièrement – mais dans cette scène il y a encore des mecs qui sont prêt à booker des newcomers tels que Coilguns juste parce que c’est un coup de cœur et que c’est ces gens qui maintiennent cette scène en vie. Je ne dis pas que Coilguns nerentrera jamais dans le système du « music buisness ». Mais le jour où ça arrivera, ça sera à nos conditions simplement parce qu’on en a pas vraiment besoin et que malgré notre envie de pousser ce groupe le plus loin possible, ce qu’on fait maintenant nous fait bien marrer et nous va bien. Donc non seulement c’est possible de tourner et sortir des disques sans avoir de structures derrière mais en plus, je suis persuadé que sans être trop gourmand et en gérant un peu ton histoire, tu peux même rendre une tournée ou un projet viable.
Désolé pour ceux qui s’attendait à une définition au sens propre du therme DIY. Ci-dessus c’est juste la perception et la façon dont j’applique cet état d’esprit au quotidien avec Coilguns.
Vous êtes aussi membres de The Ocean qui est à l’opposé du concept de Coilguns. Y-a-t-il un rapport ?
Jona : Bien que dans certaines chroniques, les gens fassent parfois le lien, je n’ai pas encore compris à quel niveau exactement. C’est clair qu’au niveau fonctionnement, esthétique, son et tout ça, on est complètement à l’opposé. Après je ne sais pas, j’imagine que les parties instrumentales qui sont un peu plus « prog » font qu’on nous assimile un peu à The Ocean mais c’est probablement parce qu’on y joue que les gens font le rapprochement… En même temps, ça fait plus de quatre ans qu’on joue dans ce groupe donc c’est un peu normal que ce qui en fait partie musicalement nous ait un peu marqué. Mais fondamentalement, je ne pense pas qu’il y ait véritablement de rapport entres les deux projets.
Et avec Kunz?
Louis : Ben, on n’a pas trop l'intention de faire la même chose dans chaque band, alors on varie les plaisirs. Niveau live, The Ocean est un groupe relativement exigent en terme de production donc il prend sa véritable ampleur sur des grosse scènes avec un son fat et light show complet. Du coup, on s'éclate en festival et en club show avec des grosses scènes. Cette musique est faite pour ça, jouer debout sur une armada de subs avec un écran géant derrière toi.
Coilguns, c'est plutôt l'opposé en effet. L’esprit, c'est d'empiler des amplis et de les mettre fort, mettre un micro dans le kick et un autre dans ma bouche et de se fritter la gueule avec le public qui monte à moitié sur scène ou essaie de presser les pédales de Jona. Cela dit, les opposés se rencontrent parfois; ça nous arrive aussi de faire des scènes plus grosses avec Coilguns et de faire des house shows avec The Ocean. Une fois encore, il faut savoir s'adapter et c'est souvent l'occasion de se marrer davantage.
Kunz n'a, par contre, pas grand chose à voir. Notre dynamique n'est pas celle d'un groupe normal; nous ne jouons pratiquement que sur invitation, toujours dans des cadres différents, avec des set-ups scéniques inédits, voire même des musiciens différents. Les morceaux sont systématiquement réarrangés selon les conditions de base du show. Nous ne tournons pas et ne souhaitons pas réellement nous frotter de si tôt à une routine de live. On bosse sur des événements isolés, des performances, des take-away shows, des collaborations, etc. Tu trouves le tout sur note blog.
Jona, tu es spécialisé dans les bagarres avec le public. Es-tu maître d’un art martial ou fais-tu ça à l’improvisation ou à la tête des clients ?
Jona : Il va falloir clarifier quelque chose tout de suite car ce n’est pas la première fois : Moi Jona je fais de la guitare et des claquettes sur plus de 20 pédales donc je n’ai pas le temps pour ça contrairement à un mec qui s’appelle Louis et qui parce qu’il ne voulait « pas se faire chier » à apprendre mes riffs a décidé de faire le gnouffe avec juste un micro. Moi, je me bagarre plutôt avec ma guitare et le kit à Luc. D’ailleurs hier, une de ces crashs en a fait les frais et est subitement décédée. Heureusement, ma guitare n’a rien eu qu’un peu de bois en moins. Donc je laisse la parole à Mr. Louis Jucker pour celle-là.
Louis : Je me bagarre pas avec le public, je les laisse venir s'auto-péter la gueule. En général il n'y a pas trop besoin de les y forcer. (Trois membres et même pas fichu de retenir qui est qui… Bravo le professionnalisme de ce fanzine ! ndlr)
Quel est le concert le plus fou que vous ayez fait pour l’instant avec Coilguns ?
Jona : Dur à dire… Entre les shows par terre dans des squatts, un autre dans la banlieue de Milan où il y a eu ZERO entrées, un autre dans un bar PMU à Caen… Je pense que je vais opter pour le classique et dire que notre premier show qui était un support slot pour Dillinger Escape Plan n’était peut-être pas le plus fou en terme de public, ou même notre meilleur show mais lorsque tu ouvres pour ton groupe favori avec TON propre groupe, qu’en plus tu les cites comme influence et qu’après le concert ils viennent te dire à quel point ils ont trouvé ça cool, ben t’as de nouveau 14 ans et en plus t’as un clito qui pousse et tu mouilles. Voilà J
J’en ai quand même un autre en tête… Chambéry au Brin de Zinc. Pour commencer, on a joué avec ce groupe français que vous devriez tous checker qui s’appelle Nerv. Ensuite, personne ne nous connaissait mais ce soir là, on a vraiment invoqué Satan et du coup, il y avait cette vibe de fiesta et tout est parti en vrille. Un mec s’est mis à raser la tête de tout le monde présent. Je me rappelle ce mec qui m’expliquait que ça faisait 15 ans qu’il faisait pousser ces cheveux et là, il me disait ça avec des kilos de cheveux dans ses poches de pantalons. Après, alors qu’on faisait une interview, notre cher tourneur qui ce soir là avait décidé de faire péter l’alcoolisme s’est pointé dans le backstage pour partager avec nous le fait qu’il venait de raser la tête à des mecs. Puis, alcoolisme tous ensemble en dehors du club avant qu’un des mecs se mette au volant de sa caisse et fasse du rodeo avec des mecs couchés sur le toit, capot, pare-brise, dans le coffre en faisant des tours du parking. Absolument merveilleux. Si toi au BRIN DE ZINC à Chambéry tu lis cette interview : Coilguns veut revenir le plus vite possible !
Etienne